Circuit des idées

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Une approche pour Inspirer l’innovation au sein du gouvernement

Par Timothy Philps


Article original publié dans: Journal électronique de l'Institut de gestion financière du Canada 3, printemps 2019: 5-8. http://www.igf.ca/media/1329138/FRE-Spring2019_eJournal_issue3.pdf

Par une chaude matinée de printemps romain en l’an de grâce 30, un jeune homme nommé Appius marchait dans la Voie Sacrée en direction du Foro Romano. Sa démarche était légère, alors qu’il pensait aux nombreuses discussions qui se produiraient une fois qu’il serait arrivé à la Basilique Julia, le grand hall au centre du Forum. La basilique était l’endroit où Appius allait pour entendre parler des problèmes, des propositions et des nouvelles des contrées lointaines. Il était impatient de partager ses idées avec d’autres esprits brillants.

Près de 2 000 ans auparavant, Appius faisait partie non seulement d’un lieu où les idées pouvaient être échangées et développées, mais aussi d’une culture de l’innovation qui existait à Rome à la fin de la république et au début de l’époque impériale. Elle a engendré certaines des innovations les plus impressionnantes de l’histoire. Des innovations notoires, telles que le béton ou l’arche, ont permis la construction de structures désormais célèbres comme l’aqueduc du Pont du Gard ou le Colisée romain. Les Romains ont créé une culture où l’innovation était très importante. Les leaders encourageaient l’apprentissage, appréciaient les connaissances et récompensaient la réussite. Ils créaient une culture d’innovateurs prolifiques.

Toutefois, l’innovation au sein de l’Empire romain a connu sa part de défis, et les obstacles qu’ils surmontaient étaient étonnamment semblables à ceux des grandes organisations gouvernementales actuelles. L’absence de pressions concurrentielles qui influencent les entreprises commerciales peut engendrer une mentalité d’immobilisme et une résistance au changement. L’intolérance croissante du public concernant les erreurs des organismes gouvernementaux a augmenté leur aversion au risque. De plus, la gouvernance hiérarchique du secteur public a produit une approche en cascade de l’innovation qui ne tient pas compte des employés sur le terrain. Enfin, la centralisation croissante des organisations a restreint le potentiel de réception d’idées.

Une culture de l’innovation

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La création d’une culture innovatrice dans de grandes organisations gouvernementales, dont l’activité de base n’est pas innovatrice, est difficile. Les compétences et l’expertise des employés se concentrent en grande partie sur les principaux livrables de l’organisation, tels que la réglementation financière, l’administration

fiscale, le développement économique, la gestion de la santé ou l’éducation, pour n’en nommer que quelques-uns. Les organismes gouvernementaux regardent souvent avec convoitise les entreprises commerciales qui ont des cultures innovatrices claires (par ex. dans le secteur de la haute technologie ou les industries naissantes). Cependant, cette comparaison n’est pas appropriée. Les sociétés commerciales ont souvent pour mandat de créer quelque chose de plus rapide, plus intelligent et plus nouveau, et leurs valeurs fondamentales le reflètent. C’est différent pour le gouvernement. Toutefois, les organismes gouvernementaux ont un ensemble de valeurs bien établies ; et c’est par là que nous allons commencer.

Les valeurs fondamentales de la plupart des organisations gouvernementales sont une combinaison d’intégrité, de respect, de collaboration, de coopération, de fiabilité et d’équité. Les gestionnaires et les employés connaissent ces valeurs dès qu’ils deviennent membres de l’organisation. Ils les vivent et les pratiquent tout au long de leur carrière. Ce respect des valeurs fondamentales crée une culture. La clé pour instaurer une culture innovatrice dans les organismes gouvernementaux consiste donc à intégrer l’innovation comme valeur fondamentale et à envoyer un message clair que les comportements innovateurs sont appréciés autant que les comportements associés aux autres valeurs fondamentales traditionnelles.

L’organisation devrait accorder de l’importance à plusieurs

comportements innovateurs essentiels. Une culture innovatrice exige une collaboration axée sur le travail d’équipe. La détermination doit être valorisée, ainsi qu’un élément de provocation. Il faut gérer les égos, et les organisations doivent être ouvertes et transparentes en ce qui concerne les idées et les initiatives. Les réussites doivent être reconnues et les échecs faire l’objet d’un soutien.

Qui dans l’organisation devrait faire preuve de valeurs et de comportements innovateurs ? La réponse courte est tout le monde, mais tout particulièrement les leaders, les communautés et les individus.

En effet, les leaders doivent offrir de l’inspiration, du soutien et de l’encouragement. Ils doivent transmettre des valeurs innovatrices, permettre aux employés de prendre des risques et garantir un environnement où les échecs ne sont pas fatals. Les leaders doivent créer un environnement sans crainte. Ils doivent également prendre du recul quand une réussite est reconnue et proposer leur aide lorsqu’une idée échoue.

Les organisations sont composées de dizaines de communautés telles que des équipes de travail, des groupes de gestion et des comités spéciaux. Ces communautés doivent se motiver pour être créatives et trouver des solutions communes. Elles doivent s’entraider et utiliser leur influence collective pour promouvoir la culture innovatrice. Les individus devraient se sentir libres de remettre en question la norme.

Ils doivent être passionnés et persévérants. Ils devraient pouvoir prendre des risques réfléchis.

Lorsque nous évoquons les risques réfléchis, il est peut-être intéressant d’examiner l’expérience romaine. Une histoire raconte que vers l’an 50, un verrier a inventé un type de verre qui était extrêmement durable. Il a obtenu une audience avec l’empereur Tibère durant laquelle il a démontré les propriétés incroyables du verre et s’est vanté qu’il était la seule personne qui savait comment le fabriquer. Craignant que le matériau ait des effets néfastes sur la valeur de ses vastes réserves d’argent et d’or, l’empereur a fait décapiter l’inventeur. Il est ainsi conseillé de comprendre les risques habituels de toute innovation.

Une culture de l’innovation existe lorsque des leaders, des individus et des communautés adoptent des valeurs et des comportements innovateurs. Cependant, l’inspiration de l’innovation au sein du gouvernement va au-delà des exigences d’une culture innovatrice. Il doit aussi exister un processus pour saisir les idées et les transformer en réalité. J’appelle ce processus le « circuit des idées.»

Le circuit des idées

Le circuit des idées est supervisé par le Conseil de l’innovation qui est composé d’employés et de gestionnaires de l’ensemble de l’organisation. Il est important que des disciplines et des niveaux différents de l’organisme participent pour assurer une diversité d’opinion et de perspective. La hiérarchie n’est pas importante au Conseil de l’innovation. Tout le monde contribue de manière égale. La participation des membres s’ajoute à leurs tâches ordinaires et représente environ deux jours par mois. Ils se rencontrent en personne environ deux fois par an et le reste de leurs interactions se font virtuellement.

Un site Web de l’innovation est nécessaire pour gérer le circuit des idées. Il implique tous les employés dans un processus interactif visant à collaborer, exprimer des idées innovatrices, rassembler des idées, et assurer une certaine transparence alors que les idées progressent. Mais c’est surtout un moyen de communication pour promouvoir une culture innovatrice.

L’objectif du circuit des idées est de faciliter les suggestions d’idées par les membres de l’organisation. Les opportunités de discussion, de création et de soumission d’idées sont beaucoup plus substantielles

qu’avec la boîte à suggestions du passé. Le circuit des idées a quatre façons de saisir des idées.

  1. Le site Innovation Direct est un portail où tout le monde peut soumettre ses idées directement au Conseil de l’innovation. Il comprend un formulaire en ligne qui identifie le soumissionnaire et demande une brève description. Innovation Direct donne la parole aux employés qui estiment que leurs idées ou leurs suggestions pourraient être bloquées par leurs supérieurs qui rejetteraient leur idée ou simplement déclareraient que c’est la leur. D’ailleurs, il est important que les idées ne soient pas soumises de façon anonyme. Premièrement, la reconnaissance est une caractéristique importante du processus innovateur. Les employés devraient être reconnus pour leurs soumissions. Deuxièmement, le soumissionnaire est le mieux placé pour contribuer à la progression de son idée et pour travailler avec le Conseil, puisque c’est lui qui l’a imaginée.
  2. Le dialogue ouvert est une discussion participative ou virtuelle qui utilise les médias sociaux. Des conversations se déroulent sur un sujet précis dans le but de donner corps à une idée qui sera ensuite soumise au Conseil de l’innovation. Les médias sociaux peuvent éveiller l’intérêt des employés qui sont plus à l’aise avec cette plateforme pour collaborer et exprimer des idées innovatrices.
  3. Le Community Incubator est un forum mobile de discussion dirigée qui s’intègre aux forums de gestion, aux réunions d’équipe et à d’autres rassemblements qui existent déjà dans le but précis de générer de nouvelles idées et de les soumettre au Conseil de l’innovation. Les nombreuses réunions auxquelles les employés assistent deviennent ainsi une source et une occasion de saisir des idées.
  4. Le laboratoire de créativité est composé du Conseil de l’innovation, et utilise sa compréhension et son expertise en matière d’innovation pour générer des idées originales. Les remue-méninges et les discussions se déroulent dans un environnement créatif, libre et diversifié.

Toutes les idées qui sont présentées sont saisies dans une banque à idées. Gérée par le Conseil de l’innovation, la banque à idées est l’endroit où les idées sont organisées et confiées à un groupe de travail de l’innovation. La banque à idées se trouve sur le site Web de l’innovation et est ouverte aux commentaires de tous ceux qui

souhaitent participer. Les groupes de travail de l’innovation sont de plus petits sous-groupes au sein du Conseil de l’innovation. Les idées leur sont confiées pour qu’ils les évaluent, les considèrent, les trient et veillent au bon déroulement du circuit des idées. Les idées sont réparties par les groupes de travail en quatre catégories :

  1. Ne sont pas retenues – ces idées ont des obstacles insurmontables ou n’ont aucune utilité.
  2. Doivent être approfondies – ces idées ont du mérite, mais elles doivent être approfondies et sont envoyées au laboratoire de créativité.
  3. Méritent d’être partagées – ces idées ont de la valeur, mais elles n’exigent aucun travail supplémentaire et sont donc affichées sur le site Web en tant que pratiques exemplaires.
  4. Ont un potentiel énorme – ces idées doivent être proposées sans tarder et méritent que des ressources soient consacrées à leur développement.

Les idées qui ont un potentiel énorme et qui nécessitent un travail supplémentaire passent à l’étape suivante du circuit des idées : la coalition de défenseurs. L’un des principaux obstacles pour les employés souhaitant développer leurs idées est souvent leur manque d’accès aux personnes de l’organisation qui peuvent faire avancer les choses. Il est souvent difficile de sortir des contraintes hiérarchiques ou organisationnelles, et d’impliquer les TI, les RH, le siège social, les finances ou toute autre personne nécessaire au développement d’une idée. Le Conseil utilise son influence afin de rassembler les éléments essentiels pour former une coalition de défenseurs qui comprend des experts techniques, des chefs de projet, des partenaires stratégiques et un soutien administratif.

L’idée a presque terminé son circuit et a maintenant atteint un point où elle peut être clairement formulée et recevoir une évaluation appropriée des risques. Une validation de principe est préparée aux fins de présentation au Conseil de l’innovation. Celui-ci s’assure que tout a été examiné, que les risques ont été considérés, et que l’idée est prête à être soumise à l’autorité d’approbation. Cette étape aurait été utile à notre verrier romain condamné.

Comme je l’ai dit au début, il existe de nombreuses différences entre les organismes gouvernementaux et les entreprises commerciales

axées sur l’innovation. En effet, il ne faut pas oublier que les organismes gouvernementaux ont une responsabilité envers les citoyens de faire preuve d’une intendance et d’une confiance irréprochables. Tout processus d’innovation doit comprendre — avec un degré de rigueur adapté à l’idée ou à l’organisation — une étape d’approbation par un organisme de gestion. En fonction des répercussions ou de la portée de l’idée, il pourrait s’agir d’une équipe de gestion locale, d’une équipe de gestion régionale, ou de toute autre équipe appropriée. L’objectif de l’autorité d’approbation est d’approuver l’idée pour qu’elle devienne un projet pilote ou un prototype.

Un projet pilote ou un prototype est alors utilisé pour évaluer et adapter l’idée. À tout moment, l’idée peut revenir à une étape précédente pour poursuivre son développement. Lorsque l’idée sort de la phase de projet pilote, elle a terminé son circuit et est maintenant permanente.

Le circuit des idées satisfait deux éléments essentiels que je considère nécessaires afin d’inspirer l’innovation dans les organismes gouvernementaux : i) l’élaboration d’une culture de l’innovation par le biais de valeurs, de comportements, d’individus, de leaders et de communautés, et ii) un processus complet qui implique l’ensemble de l’organisation lors de la saisie, le développement et l’intégration des idées.

Durant cette journée de printemps à Rome, Appius espérait que ses idées seraient acceptées au sein d’une culture de l’innovation et feraient partie d’un processus qui permettrait de les concrétiser. Or, les organisations gouvernementales modernes peuvent fournir la même inspiration à leurs innovateurs en adoptant le circuit des idées.

Tim Philps, BA, MBA, CPA, CMA, est directeur des programmes de la région du Pacifique de l’Agence du revenu du Canada. Tim était coprésident de l’AGSP 2005 et est diplômé du programme de Senior Executive Fellows de la John F. Kennedy School of Government de l’Université de Harvard.
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